15 ans après “l’invention” des Nouveaux Naturels, le débat perdure, la querelle fait encore rage entre les tenants du Lavé (voie humide) et ceux du Naturel (voie sèche).
C’est dire si cette différence est structurante dans le café et combien les goûts et les couleurs alimentent les discussions.Que sont ces deux process ou fermentation ? Qu’est-ce qui les différencie ? Et pourquoi les oppose-t-on si souvent ?
Voie sèche et voie humide : les deux process ou fermentation clefs du café
C’est bien la voie sèche et donc le café naturel (ou “café nature”) qui est apparu en premier, et même qui est concomitant de la naissance du café.
Apparu dans un pays tropical sec durant la saison, le café est issu de la récolte d’un fruit, la cerise du caféier, séchée au soleil, autrefois, à même le sol. Le fruit sec se déshydrate et sa peau vient coller aux grains jusqu’à ce qu’elle soit totalement sèche et donc friable.
En fonction du taux d’humidité, le séchage peut prendre plus ou moins de temps et comporter donc plus ou moins de risques de moisissure, un peu lorsqu’on oublie des pommes sur la table, ou la table est en plein soleil et dans un lieu ventilé, ou les pommes pourrissent avant de sécher.
Pour les cerises de café, c’est la même chose. Lorsque le caféier a été acclimaté au Yémen, le climat étant, là aussi très sec, ce process a perduré.
Tout change au XVIIe et XVIIIe siècle
Mais tout a changé avec la diffusion de la caféiculture par les Hollandais puis par les Français au tournant des XVIIe et XVIIIe siècle. Les Indes dites hollandaises (Java etc…) et les Antilles sont caractérisées par des climats, certes chauds, mais humides. Impossible sous ces latitudes de faire sécher un fruit au soleil, même aussi mince et dépourvu de pulpe que la cerise de caféier.
Comment accélérer le séchage des grains ?
Telle fut la question que se posèrent les premiers caféiculteurs non africains. La réponse fut immédiate car dès le début du XVIIIe siècle, nous avons les traces des premiers dépulpeurs. La voie humide était donc inventée.
En prenant la cerise à peine cueillie, on la passe dans un dépulpeur qui lui arrache la peau, les grains se retrouvent alors nus et recouvert d’une légère couche de pulpe de fruit. Afin, de se débarrasser de cette pulpe ou chair de fruit, les grains sont mis dans des réservoirs pour fermenter. Pourquoi ? Parce que la fermentation est la dégradation de la matière organique par des micro-organismes que sont les bactéries puis les levures principalement.
La fermentation, la clé de la méthode par voie humide
En fermant les grains, on élimine ainsi la pulpe et met totalement à nu les grains. A la suite du dépulpage et de la fermentation, les grains de café ont donc perdu leurs deux premières couches : la peau (l’écorce / la cascara) et la chair. Ainsi, ils pourront séchés, non pas en une trentaine de jours, mais en une dizaine maximum !
Alors pourquoi, n’a-t’on pas appelé cette méthode “dépulpée” ? Après la fermentation, et afin de débarrasser les grains des derniers résidus et surtout d’arrêter tout processus fermentaire, les grains sont lavés dans des canaux ou des bassins d’eau.
En les agitant dans l’eau courante, ils perdent ainsi leur dernier résidu. On les lave, une ou deux fois, on les fermente une ou deux fois comme en Colombie ou en Afrique de l’Est, c’est le cas du Maravilla et du Bourbon Pointu de la Réunion.
A l’échelle du temps, le café originel est donc Naturel, puis Lavé. La voie sèche est la tradition, la voie lavé la modernité.
Les cafés lavés sont-ils de meilleure qualité ?
Les cafés lavés ont été très longtemps dominants sur le marché de la qualité.
Ils sont en effet fermentés, lavés puis séchés rapidement. Par la fermentation, une complexité et des acidités se développent, on passe ainsi de 30 marqueurs aromatiques à plus de 300. Par le lavage et le séchage rapide, on assure une hygiène et prévient des défauts liés au séchage et aux contaminations. Le café lavé a donc été longtemps synonyme de qualité.
Alors que le café naturel, lui connaissait et connaît encore souvent pour les qualités inférieures des défauts caractéristiques. En laissant sécher des fruits à même le sol de terre, ceux-ci pourrissent en partie, absorbent poussières et saletés, sont attaqués par diverses champignons. Le goût du Naturel a donc été longtemps celui de la pourriture, des notes fermentaires (vinaigre, renfermé, réduction, champignon..) longtemps honni par les consommateurs et les producteurs. Le café naturel était donc le pas cher, le non noble et encore aujourd’hui, représente plus de 90% des canephora (robusta).
L’apparition de nouveaux process : Honey, Pulped Sun Dried, Slow-Dried et Semi-washed
Pourtant, à l’aube du XXIe siècle, les lignes ont considérablement bougé. D’une part, les process ou les fermentations ont attiré l’attention, et ce fut la révolution des café de spécialité qui commença, et elle commença par un soin apporté à chaque étape de la fermentation.
Les producteurs ont donc peu à peu mieux fermentés ou traités leur café. Ils ont aussi redoublé d’inventivité et de créativité. Aujourd’hui, les voies lavées et sèches ne sont plus les seules. Les traitements tels le miel (Honey), le pulped sun dried comme pour le Iapar Rouge du Brésil, le semi-washed, le carbonique comme pour le Maravilla, le carbonique slow-dried comme pour l’AfterGlow Geisha, le levuré, le thermorégulé comme le Chakra Do Dago etc., etc. se sont développés et enrichissent la palette du café.
Les cafés lavés face à l’enjeu environnemental et la surconsommation d’eau
D’autre part, le café lavé a dû essuyer les critiques des populations locales et des certains consommateurs clairvoyants, celle de la surconsommation et de la pollution des eaux. En lavant le café fermenté à l’eau, celle-ci se charge des bactéries, des levures et des champignons actifs et ainsi créé une asphyxie et la rend impropre à la consommation. La quantité d’eau utilisée était également considérable. Les progrès ont été importants et les producteurs de L’Arbre à Café utilisent tous des machines permettant de réduire la consommation d’eau. Il leur faut moins de 8 litres d’eau pour traiter 100kg de café comme à la Chakra do Dago ou pour le Sidamo Bunna Bet.
Le renouveau des cafés naturels
Parallèlement, au Brésil notamment, certains producteurs, inspirés par la révolution du Honey process, ce sont décidés à considérer le café naturel comme un café à fort potentiel.
C’est donc dans ce pays qu’apparut, le Nouveau Naturel, et les premiers concours de qualité pour les cafés issus de la voie sèche. Finis les goûts de pourriture, exit ceux de champignon et de terre humide, adieu les arômes fermentaires rédhibitoires. Bonjour, la sucrosité et la douceur, bonjour l’intensité et le fruité, bonjour les acidités acétiques et rafraîchissantes comme pour le Gédeo, le Hayma, le Pacamara Naturel ou le Caturra.
L’adoption du café par les pays asiatiques, habitués aux goûts fermentaires, a créé une formidable caisse de résonnance à ces Nouveaux Naturels.
Aujourd’hui, le débat sur les Lavés et les Naturels est encore réel mais moindre car focalisé sur une question de limite : le café que je goûte est-il trop Naturel soit aux notes de vinaigre et de fruits surmûris trop prononcés ou non ? Me renvoie t-il à des aliments culturellement impropres à la consommation ou au contraire délicieux ?
Les lames de fond commerciales des aliments fortement maturés, comme la viande de boeuf, ou librement fermentés comme le vin nature mais aussi le Komboucha, font que le rapport aux notes fermentaires et aux acidités liées à la fermentation, a beaucoup changé ces dernières années. Les défauts d’hier, parce qu’ils sont maintenant travaillés et contrôlés font la qualité d’aujourd’hui.
On assiste encore dans les dégustations à des petites querelles entre ceux qui pense que tel café est exceptionnel car marqué par des notes d’olive et de cacao et vineuse, pendant que d’autres le considèrent “over-fermented” car vinaigré.
Café naturel et café lavé sont donc devenus une question culturellement et non de qualité objective, et c’est tant mieux !